Les nouvelles de la Boutillerie #3
Depuis deux ans, la ferme de la Boutillerie est un petit laboratoire de la possibilité d’habiter un lieu.
Habiter la ferme se fonde depuis deux ans sur l’apprentissage de la vie avec d’autres - autres humains, animaux, plantes et sols.
Nous apprivoisons le bâtiment, la frontière, le territoire et l’héritage de celles et ceux qui ont habité ici avant nous.
C’est très concret, croyez-le, habiter un lieu : la friterie en bas de la rue, les tuyaux des égouts, les spectacles des enfants, la montée capillaire de l’eau, les douleurs dans le dos, les repas dominicaux, le cinéma en plein air, la rencontre avec les anciens.
En 2023, venez partager ce lieu et le monde avec nous ! Bisous
Je me souviens
CHARLOTTE
Je me souviens un soir sous le auvent, trois ordi allumés, tard, très tard...
Vraiment très tard... car on cherche la faille, l'erreur, la virgule mal placée... depuis quelques heures...
Notre bilan comptable n'est pas à l'équilibre... Et il parait que ça ne doit pas être...
On est près à laisser tomber, à donner ce tas de chiffres mal ficelés à Violaine, comptable et amie dévouée...
Quand Eric prononce ces quelques mots anodins "mais ce chiffre me dit quelque chose..."
Moi, dans ma tête : "comment un chiffre peut dire quelque chose...?"
Et c'est reparti pour un tour de vérification de tous nos tableaux... et c'est reparti pour encore quelques heures...
499,76... mais bon sang mais c'est bien sûr! C'est le résultat de l'année précédente, il faut le retirer de ce bilan!
Ce qu'on fait immédiatement, et ça colle, c'est à l'équilibre! youhou!
On est heureux, on s'embrasse, on trinque!
On boucle notre bilan, on fait rouler la souris, on découvre quelques phrases cachées sous le tableau...
Violaine nous avait tout expliqué... noir sur blanc... On rit!
MAX
Je me souviens
De ces matins où on se retrouve à 8h dans le froid du matin un café à la main à amener nos filles à notre bus scolaire à nous
Je me souviens
De ces autres matins où par hasard on se croise un peu couillons dans le jardin avec notre seau des toilettes sèches dans la main
Je me souviens
De la seule nuit que j’ai passé seul à la ferme, je me suis senti totalement perdu. C’est pendant les vacances de la Toussaint, je rentre tard d’un boulot au fin fond de la Picardie. Il fait froid et boueux, le mobil home est glacial. Je commence par essayer d’allumer rapidement le poêle or tout le monde sait qu’il faut être détendu pour réussir un allumage. Je ressors chercher de la cagette. Le chat Caramel et ses pattes sales en profite pour s’engouffrer à l’intérieur. Le temps que je réalise, il est sûrement déjà dans une des chambres. Tant pis. Je reviens avec la cagette. Il se met à pleuvoir. C’est la première fois qu’il pleut depuis que nous avons fini notre beau sas d’entrée en bois de récup. Ça marche, on est au sec devant la porte. Je me remets à l’allumage. La pluie redouble, retriple. Très rapidement ce sont des trombes d’eau qui dégringolent. La gouttière du mobil home est totalement débordée. Un rideau d’eau très dense tombe maintenant à l’intérieur du sas sur toute la collection familiale de chaussures. Je sors pour gérer ça tant bien que mal. Ce sas est passé en cinq minutes du statut de la petite fierté à celui de l’échec piteux. En plus d’avoir froid, je suis maintenant gaugé. Et j’ai faim. Le frigo est quasi vide mais il y a de quoi agrémenter quelques tranches de pain. Je vais en chercher au congélateur commun dans la bergerie. Il pleut toujours beaucoup. La porte est verrouillée. Il fait noir et je n’ai pas mon téléphone avec moi. Je me souviens qu’on s’est dit que la clef est dans le pot de fleur suspendu au toit de tôles. En le cherchant à tâtons je le décroche. Il est maintenant en morceaux au sol entre le sac de copeaux pour les toilettes sèches et le mur. J’ai vaguement entendu tinter la clef sur le ciment du trottoir. Je suis à quatre pattes dans le noir, la pluie martèle les tôles, j’ai envie de hurler et là me revient - mais pourquoi maintenant- cette phrase de Séguéla: « si t’as pas une rolleix à 50 ans, c’est que t’as raté ta vie ». C’est un moment où j’ai senti à quel point il était bon de vivre à plusieurs
NATALIA
Je me souviens
c’est le début de l’automne,
le premier à la ferme.
Nous avons un prunier et ce pauvre prunier croule sous ses fruits d’un violet profond.
« Les filles de la ferme » comme on les appelle, commencent une cueillette et je suis touchée par un instant précis
les deux plus jeunes réceptionnent les fruits dans un panier qu’elles font coulisser avec une corde à une branche.
L’une est en haut de l’échelle, l’autre en bas.
Ce sera donc peut-être une vie faite de ça ici ?
Oui.
Je me souviens du couloir commun.
Le matin nous nous y retrouvions pour mettre les manteaux.
Tantôt c’était l’une des familles qui était en vrac, tantôt l’autre.
Nous nous marchions les uns sur les autres, les manteaux et les salopettes de pluie dansaient.
Le papa d’en face enfilait un gant à ma fille pendant que je chaussais les bottes de la sienne.
Un beau bordel.
Je me souviens qu’au tout début de la vie ici,
Tous les parents ou presque sortaient faire coucou à la voiture qui emmenait les enfants à l’école.
On courait même derrière la voiture, comme un adieu.
Nous étions joyeux de démarrer cette aventure, excités comme des enfants.
BENOIT
Je me souviens d'un repas partagé, en pleine canicule, dans notre mare asséchée, dans la fraîcheur bienfaisante des arbres. Il y avait une baignoire, une tyrolienne, un salon et beaucoup de joie dans ce lieu lunaire, irréel. C'était Kusturica.
Je me souviens des soirées qui se terminent en danse folklorique et familiale au son du 33 tour installé dans la salle commune enfumée, froide et chaleureuse. A la fin, ça se termine abruptement, car les plus petites sont fatiguées. Au revoir les amis et à demain. Chacun rentre chez soi.
Je me souviens des sourires lorsque après des jours absorbés par le quotidien, un événement nous réunit et que nous trinquons tous à l'amitié.
Je me souviens de mes journées passées dans le grenier à tenter de me construire un chez moi, de mes errances du soir à me dire que je n'y arriverai pas, de mes retours en vélo qui me permettent de retrouver élan et espoir pour le lendemain et de mes nuits où je rêve placo. Vélo, travo, dodo.
Le chantier d'été
Du 1er au 20 août
Avec pause le dimanche
18 jours effectifs de travaux
De nombreux coups de mains et visites à plus ou moins long terme
50 personnes en tout seront passés par là, en comptant les enfants non rentables
307 repas servis
Repas record à 26
Aubergines au thym, pâtes aux blettes, goulash canard haricots, frites et sorbet pêche maison
12 trajets à la déchèterie
La benne 9 c’est gravats, la 10 c’est gravats recyclables, la 4 c’est bois, la 8 c’est ce qui crame et qui pollue
33 mètres de drains posée, 37,6 mètres d’évacuation
7 prises de mesures globales pour être sûrs sûrs sûrs que nos futures eaux usées couleront dans le bon sens
16 m3 de gravats de terre et de graviers
23500 coups de pelles (estimation)
5 fenêtres et 2 portes installées
3 souches déssouchées
2 nouveaux bacs à compost
1 tendinite
2 soirées ciné plein air avec les voisins
3 heures passées à écouter Colette et Bernard qui furent les derniers paysans de la ferme dans les années soixante
Un repas dans la mare (sèche)
3 caisses de Saison Dupont
4 caisses de Vedette
La Jupiler ça compte pas (7 caisses)
Petit traité de maçonnerie
J'habite une île
J’habite une île.
Une île ronde entourée d’un océan de verdure.
Une île de 40m2 que je partage avec trois autres insulaires. On se croise, s’entremêle, se superpose, se cogne. On cohabite dans les cris, les rires, les pleurs et le silence. On cherche les chemins qui mènent au centre. Au puits de lumière. Là où le dehors dialogue avec le dedans.
Au dessus de nos tête :
Un oiseau perce le ciel, nous rappelant qu’on peut traverser les nuages.
Les arbres dansent mettant en jeu l’équilibre et le déséquilibre.
Le vent chante nos tribulations.
Les branches cassent nous rappelant notre puissante fragilité.
Cette île n’a pas de racine mais des parpaings pour tout amarre. Et pourtant je fais racine dans ce paysage sans horizon, enclavé dans un péri urbain gris bétonné pesticidé…
Je fais racine avec les oiseaux qui peuplent notre quotidien.
Je fais racine avec nos ancêtres les arbres qui nous enseignent la sagesse du temps. Je fais racine avec les gestes du quotidien. Couper le bois, nourrir le feu. Aller chercher de l’eau, la chauffer les jours de grand froid quand le robinet ne coule plus, vider le seau des toilettes.
Ces gestes me rappellent à l’essentiel à mon essentiel. Mon île à ré ensauvager.
BETTY
Lopin de terre
Tricotin végétal
Patchwork saisonnier
Tricot olfactif
Crochet organique
Tissage rhizomatique
Réservoir de vie
BETTY
Patchwork saisonnier
Tricot olfactif
Crochet organique
Tissage rhizomatique
Réservoir de vie
BETTY
Le poème vert
Le vert c’est comme les brocolis, les petits pois, les haricots, un volcan de chou, la sauce mélangée au bleu, l’herbe, un arbre immense, la menthe, les feuilles des arbres…
Le vert ça me réjouit, ça me fait parler, ça me met dans la nature, ça me fait cultiver, ça me fait tomber par terre, ça me met en colère… Le vert ça donne espoir à la terre, j’espère… Le vert ça me fait perdre la tête!
Verdure, verger, verlan, verre de terre, verser, verte de peur, vert pomme, vert caca d’oie, vers l’infini et l'au-delà, vertige, verte, verrue, vers chez toi…
Les voisins de la ferme
Il y a Yannik notre voisin tatoué aux ancêtres polonais de la rangée de maisons devant la ferme qui en a ras-le-bol du Nord et sa femme Isa qui nous ont apporté des têtards pour la mare.
Françoise et Paskal de la carrière derrière le collège aiment les spectacles, le cinéma et la musique. Françoise est notre meilleure ambassadrice dans le quartier.
Les frères voisins, Philippe et Michel, avec les petits chiens passent tous les jours plusieurs fois devant la ferme, parfois tout seul, parfois à deux, parfois avec Violaine leur nièce, mais jamais sans chien.
Roland, qu’il est si bon de savoir juste au-dessus de la ferme avec ses moutons, manœuvre parfois avec son tracteur les tiny houses qui débarquent chez nous.
Il y a aussi Annie et Daniel de la rue Leruste qui ont quitté le spectacle Mr Kropps de Max par peur de se faire enrôler dans une secte. Mais ensuite ils nous ont apporté : des kilos de figues, des galettes de topinambour, des beignets de courgettes et trois sacs de 2,5kg de pommes noisettes congelés.
Bertrand et Edith nous ont mis en lien avec le jardin partagé des Plouys et organisent les portes ouvertes des artistes tous les ans chez eux. Ces deux-là, il est aussi bon de les savoir tout près…
Il y a Sarah de la ferme des poneys. Elle est venue pour voir le film Arsenic et veilles dentelles en cinéma en plein air à la Boutillerie après avoir eu en stage la quasi-totalité des filles de la ferme. Depuis, monter à cheval est devenu le rêve le plus ardent de nos filles.
Par l’entremise de Roland, nous avons eu la visite des anciens fermiers. Ils nous ont raconté le passage de la paysannerie ancienne à l’agriculture moderne. Ils nous ont donné le nom de la grande famille industrielle du Nord à laquelle appartenait la ferme et les terres. Ils nous ont dit où était leur potager, la chambre de l’ouvrier agricole, la laiterie, l’étable du cheval. Ils nous ont envoyé des photos de la ferme d’avant et ils nous ont raconté comment à l’aide des déchets de la ville ils ont réussi à remblayer les douves de la ferme.
Et puis évidemment, nous avons Hugo, notre voisin poète qui vient parfois boire des coups chez nous.
Merci les voisines et voisins.
UTE
Les spectacles de l'année
- La sortie de résidence de Céline Laurent avec son spectacle Matriochka (la semaine du 16 au 20 mai) Cie Caravanes
- Mon arbre de Natalia Wolkowinski pendant la fête du jardin, le 28 mai 2022, organisé avec l’association du potager du Plouys.
- Le Corso cosmique de la compagnie Bigre
- Du Cinéma en plein air avec les films Arsenic et vieilles dentelles (13 août 2022) et Little Miss Sunshine (6 août 2022)
- Le spectacle sur les habitats partagés : Mr Kropps lors des portes ouvertes le 17 septembre 2022 de la compagnie Gravitation
- La fête du partage de la récolte Troc ton boc, et un stage de lactofermentation de Marina, le 1er octobre 2022
- Le concert “Chansons populaires des 4 coins du monde” par Bastien Charlery, également le 1er octobre 2022
Devant la maison
Devant ses prairies que le printemps
balaye d’une pluie tiède
en fin d’après-midi
il avance jusqu’au perron,
pur de toute rumeur que le chant
de la ville refuse d’apporter,
maladroit sur ses jambes mordues
par la vieillesse.
Il ne souffre pas,
du moins c’est ce qu’il dit;
la porte n’est pas fermée
sur lui
qu’il se retourne et chuchote
à la terre de ses ancêtres
comme à une femme qu’il désire
encore
après quarante années
dans le même lit:
« Toi, ma tendre, ma douce
tu es le plus bel endroit
du pays"
Cécile Coulon